Pages

17 novembre 2010

Amour et compassion


Le verbe aimer est difficile à conjuguer : son passé n’est pas simple, son présent n’est qu’indicatif, et son futur est toujours conditionnel.
(Jean Cocteau) 

Les êtres éveillés affirment que la substance du Soi authentique est fondamentalement lumière et amour, rien d’autre; que l’amour vrai est serein parce qu’il est acceptation. Le Soi accepte tout : le bien, le mal, le haut, le bas. Cet aspect de nous ne vit pas dans l’antagonisme et n’érige pas de barricades – au contraire, il les démolit. Le Soi accepte les gens tels qu’ils sont avec leurs croyances, leurs opinions, leur vision de la vie, leur manière de s’exprimer, de s’habiller et de se comporter. La compassion vient de l’acceptation des différences et du sentiment d’égalité, et élimine les complexes de supériorité et d’infériorité.

Par définition, l’amour est inconditionnel. Pour comprendre la nature de cet amour, soit le différencier de l’attachement émotionnel, il faut l’avoir expérimenté, ne serait-ce que fugitivement. Il nous arrive à tous de vivre des moments privilégiés de connexion avec le Soi où les murailles d’hostilité s’effondrent comme par magie. L’ouverture de cœur introduit spontanément un sentiment d’union avec «tout ce qui est».

«Le moi lutte sans relâche contre la dissolution qui serait justement sa délivrance. La fascination qu’exerce la certitude de la mort peut nous laisser figés de stupeur, jusqu’au moment où une illumination nous révèle que ce n’est pas la conscience qui meurt, mais la mémoire. S’ouvrir à cette vérité, c’est s’ouvrir à un singulier sentiment de solidarité – d’identité – avec les autres créatures et commencer à comprendre le sens de la compassion.» (Alan Watts)

Le problème, c’est que ça ne dure pas. En lisant ce qui suit, vous comprendrez pourquoi je disais dans les premiers chapitres qu’il est irréaliste de croire qu’on peut vivre en permanence dans cet état d’esprit – à moins d’être un illuminé fini. Dans la mesure où la vocation du corps physique est de séparer, au niveau strictement humain, nous sommes soumis aux aspects dualistes de la personnalité. Contrairement au Soi authentique, nous avons des goûts, des préférences et des besoins qui nous contraignent à choisir. Le jugement, et non pas la critique, nous aide à déterminer ce qui est bon ou non pour nous, à devenir responsables et à assumer les conséquences de nos choix. Beaucoup de gens d’ailleurs préfèrent esquiver les choix pour jouer les victimes. 

La notion d’amour inconditionnel répandue par le courant nouvel âge prêtait à confusion. L’interprétation véhiculée laissait croire qu’amour inconditionnel signifiait permettre, approuver et tolérer n’importe qui/quoi sans discernement. L’amour inconditionnel reconnaît la valeur de l’autre au delà de l’ego, mais il n’oblige pas à la prostitution ni au manque de respect et d’estime de soi. Nous pouvons aimer sans condition au niveau du Soi (ou de l’âme), mais nous ne sommes pas tenus de fréquenter des personnes dont la personnalité, les traits de caractère, les comportements ou le style de vie nous sont incompatibles. Ces relations peuvent s’avérer destructives.

L’attachement émotionnel (conditionnel) est une caricature de l’amour. Ce pseudo amour, basé sur l’intérêt personnel, se nourrit de pensées à forte charge émotive et de conditionnement. Il peut aisément devenir un outil de contrôle via la punition/récompense dans n’importe quel type de relation. «L’ego croit que s’il pouvait changer le monde et les gens, tout serait parfait. Notre vie tourne autour de la satisfaction de l’ego, et les autres n’ont d’importance que dans la mesure où ils consentent à jouer le jeu selon nos règles. Or ce n’est jamais ce qui se passe puisque chacun est préoccupé par la même attente», précise Charlotte Joko Beck.

L’amour conditionnel est par définition éphémère. Au moindre changement de situation, ce type d’amour peut se transformer en haine. L’amour romantique peut certes inclure de l’affection sincère, mais il sera toujours teinté de désirs, d’attentes et d’attachement.

«À mesure que s’étiolera le petit moi, cet ego dictatorial et manipulateur, râleur et colérique, vous commencerez à sentir le goût d’un bonbon extraordinaire : un sentiment de joie profonde et de vraie confiance en soi. C’est le sentiment qu’on ressent lorsqu’on sait aimer les autres sans rien attendre en retour. C’est le goût unique de la compassion. L’intensité avec laquelle on en perçoit la saveur dépend du degré d’avancement du processus de dépérissement de l’ego.» (Charlotte Joko Beck, Soyez zen)

L’amour authentique (inconditionnel) n’est pas fondé sur ces liens utilitaires qui nous assurent des biens, des services, des faveurs, de la tendresse, de l’amitié, du sexe et autres. Je ne condamne pas ces liens indispensables à notre monde d’interdépendance, mais encore une fois, il ne s’agit pas d’amour vrai.

Dans le monde matériel, l’expression la plus élémentaire de notre désir d’union se traduit par l’attraction entre individus. Son expression la plus élevée se traduit par un désir d’union avec l’Esprit. Aurobindo disait à propos de l’amour physique et psychique :
«La nature habituelle de l’amour vital est de ne pas durer, ou, s’il essaie de durer, de ne pas satisfaire, parce que c’est une passion que la nature a introduite pour des fins temporaires. En outre, rien ne dure dans le mental et le vital, tout y est flux. La seule chose qui dure est l’âme, l’esprit. Par conséquent l’amour ne peut durer et satisfaire que s’il prend pour base l’âme et l’esprit, s’il a en eux ses racines. Mais cela ne signifie plus vivre dans le vital, mais dans l’âme et l’esprit. (Lettres I, Adyar 1950) Il est exact que l’amour humain est le plus souvent un mélange d’ignorance, d’attachement, de passion et de désir… Il existe un amour psychique, pur, sans exigences, sincère dans le don de soi, mais généralement il ne reste pas pur dans l’attraction qu’ont les humains l’un pour l’autre.» (Lettres II, Adyar 1952)  

L’amour inconditionnel est ressenti très différemment de l’amour qui carbure aux attentes de retour! Aimer sans condition, c’est devenir soi-même une source d’amour :  
«Être bienfaisant pour autrui ne consiste pas à faire des actions que l’on imagine devoir lui procurer du bien-être. Ce qu’il faut, c’est devenir soi-même une source de bien-être. Voyez le soleil : son activité ne se manifeste pas d’après un plan arrêté. Il est le soleil. Il ne peut s’empêcher de répandre de la chaleur et de la lumière. De la même façon, le Sage, qui est devenu un centre vivant d’intelligence et de bonté, émet des ondes d’énergie qui répandent des influences dans le monde.» (Alexandra David-Néel)  

«La compassion est née du sentiment de culpabilité, censé vous rendre conscients des conséquences de vos actes.» (The Nature of Personal Reality, Jane Roberts). Bien sûr, il ne s’agit pas de la culpabilité artificielle dont il est question au chapitre «Le karma de culpabilité». L’amour authentique s’apprend petit à petit, à force de vigilance par rapport à nos réactions émotionnelles robotisées. Par ailleurs, évitons de nous blâmer si nous ne réussissons pas à le démontrer en toutes circonstances.

Vieillir, c'est passer de la passion à la compassion.
(Albert Camus)  

Aucun commentaire:

Publier un commentaire