Illustration : Padma, Les vies antérieures; Tarot Zen
Les
dynamiques de la personnalité
Comme l’argument d’une histoire bien écrite, la
vie est intéressante à raison de ses conflits. L’homme primitif avait surtout à
lutter contre les autres hommes ou contre les forces de la nature. Mais, à
mesure qu’il évoluait, l’homme voyait ses difficultés émaner de plus en plus
des sources intérieures. Le conflit intérieur a été décrit, à différentes
époques, comme l’opposition entre le bien et le mal, entre l’esprit et la
matière, entre la raison et la passion, entre la conscience et l’impulsion ou
entre le conscient et l’inconscient.
Toutes ces descriptions contiennent une part de vérité, mais elles
n’expliquent pas la friction intérieure avec la pleine signification que lui
donne la manière de voir réincarnationniste. Selon le principe de
réincarnation, la source première du combat est l’erreur que fait l’esprit en
s’identifiant au niveau de densité spirituelle appelé «matière», à travers
lequel il est contraint de s’exprimer pour évoluer. Cette fausse identification
mène à un comportement séparatif et égo-ïste;
et ce comportement mène, à son tour, à la mise en mouvement des aspects
rétributifs du karma. L’action karmique objective la mauvaise conduite de
l’homme de telle manière qu’il en devient lui-même prisonnier; et c’est
pourquoi cette prison est la source première et le fondement de l’angoisse
mentale de l’homme. Sa lutte contre des barreaux invisibles de la cellule de
prison dans laquelle il s’est lui-même enfermé, constitue la forme primaire du
conflit intérieur.
Mais
il existe une autre source de conflit. Il faut se rappeler que le karma a deux
aspects, l’aspect rétributif et la continuité. En raison de ce dernier aspect,
bien des éléments incongrus ou des tendances venues du passé peuvent se faire
jour en même temps, créant une nouvelle source de conflit intérieur.
…Une
tendance est une forte impulsion ou un désir montant de quelque expérience de
vie passée. (…) Des impulsions contradictoires donnent lieu à une lutte
consciente quand il s’agit du choix d’une profession. La lutte peut se résoudre
en une combinaison de deux tendances ou l’abandon de l’une en faveur de quelque
chose d’autre (…).
Une
lutte encore plus difficile que celle qui est provoquée par des impulsions
contradictoires, naît lorsqu’une tendance n’a pas été suffisamment neutralisée.
Par exemple, un homme peut avoir une tendance à l’arrogance, tendance d’une vie
passée, au cours de laquelle il disposait d’un pouvoir arbitraire sur un peuple
opprimé. Dans une vie suivante, il a été un enfant infirme, vivant dans un
taudis; son arrogance a subi un arrêt karmique et l’attitude contraire de
tolérance et de sympathie a été induite jusqu’à un certain point. Mais
l’arrogance n’a été effacée ou neutralisée que d’une façon incomplète. En
conséquence, deux impulsions contradictoires habitent maintenant le conscient à
propos du même trait de caractère. C’est pourquoi la personnalité présente une
inconsistance apparente qui s’exprime par des attitudes alternées d’arrogance
et de tolérance. L’individu lui-même se rend graduellement compte de son
inconsistance; si des idées sur la fraternité s’emparent de lui, il commencera
plus consciemment la lutte pour empêcher le réveil de l’ancienne arrogance.
Mais la conscience de leur propre inconséquence manque à beaucoup de gens.
On
trouve dans la personnalité de cet homme deux contradictions de base. La
première est une tendance à être par moment introverti, renfermé, silencieux,
froid, asocial, studieux, hors du monde; et à d’autres moments, extraverti,
expansif, jovial et sensuel. (…)
Être
lucide devant une inconsistance, choisir délibérément celle des deux
personnalités qui semble la plus souhaitable, et faire effort pour vaincre ce
qu’il y a d’antithétique entre les deux, semble être la meilleure manière de
s’attaquer à un conflit profond. (…)
La
psychanalyse réincarnationniste diffère de la psychanalyse ordinaire en ce
qu’elle suppose que toutes les expériences de la vie sont conformes à un plan,
fait avant la naissance par le Surmoi ou Éternelle Identité. Si la personnalité
est capable d’apprendre sans révolte la leçon qui lui est enseignée par les
circonstances de sa vie, la névrose n’est pas indispensable; l’effondrement ne
se produit qu’afin que, dans une banqueroute extrême, l’obstination de la
personnalité se dissolve, et afin que la conduite se conforme au plan de vie du
Surmoi.
Le
but inconscient de la vie, tel que le conçoit la psychologie, est
habituellement égoïste et matérialiste, choisi par la personnalité séparative
ou ego, pour sa propre sécurité imaginaire et sa conservation, alors que le but
superconscient de la vie est non matériel, parce qu’il vise à donner à l’âme
des leçons spirituelles et des qualités. Si la personnalité prend conscience du
but intérieur en vue duquel elle s’est incarnée, et si le but conscient de la
vie coïncide avec le but superconscient, les progrès peuvent être beaucoup plus
rapides car, dans ce cas, il n’est pas opposé de résistance intérieure aux
expériences didactiques de la vie.
L’existence
dans l’inconscient de tendances profondes et souvent contradictoires qu’il nous
faut apprendre à compenser, est un concept de toute première importance dans la
psychologie réincarnationniste. Ce concept a plusieurs importantes implications,
et peut éclairer certains domaines de la psychologie actuelle. D’abord, il
offre une solution possible au problème de la personnalité double et multiple.
La
double personnalité est bien connue du grand public par la large diffusion qu’a
eu le récit romantique de Stevenson, Dr.
Jekyll et M. Hyde. Ce qui est moins connu, c’est le fait que les cas de
personnalités non seulement doubles, mais triples et multiples sons fréquents
dans les annales de psychologie anormale, et que, de plus, beaucoup des
altérations de la personnalité qui se produisent sont aussi dramatiquement
contrastées que la différence entre Dr. Jekyll et M. Hyde. (…)
…Cependant,
en présence de tous les éléments, on peut faire état d’une de ces deux
possibilités quant à l’altération de la personnalité : ou bien la
possession successive par deux ou plusieurs entités désincarnées; ou bien une
résurgence anormale du souvenir d’une précédente personnalité de l’individu. (…)
La deuxième hypothèse – c’est-à-dire la résurgence de souvenirs d’autres vies –
est suggérée comme une extension du phénomène de report des tendances d’une vie
dans la suivante.
La
seconde implication importante du concept de report des tendances d’autres
vies, vise ce qui est connu en psychologie sous le nom de «spécificité des traits».
(…)
Selon
le principe de réincarnation, la spécificité des traits n’est pas due seulement
aux satisfactions et aux désappointements qu’on a éprouvés pendant ses années
de formation, mais encore aux expériences éducatives vécues au cours de
beaucoup d’incarnations précédentes. (…) Il est possible qu’on ait appris sa
leçon concernant les égards pour la vie humaine et pas celle qui concerne les
égards dus à la vie des animaux.
De
telles inégalités de caractère sont communes à l’humanité entière et se
comprennent mieux à la lumière de la psychologie réincarnationniste. Un jeune
homme absolument sincère et bien intentionné peut être gravement préoccupé, par
exemple, de paix mondiale et de justice sociale universelle. Il s’indigne si
quelqu’un, dans le feu d’une discussion, lui dit qu’il a une nature
foncièrement cruelle. Il repousse absolument cette accusation et a le plus grand
mépris pour celui qui la profère; mais, quelques mois plus tard, un concours
inhabituel de circonstances l’amène à se rendre compte qu’en fait, il existe dans sa nature une certaine
cruauté qu’il ne soupçonnait pas et qui se révèle dans l’effort délibéré qu’il
fait pour dominer les autres et leur retirer toutes croyances qui les
consolent. Cette découverte soudaine de soi le remplit d’horreur; il ne peut
comprendre la coexistence en lui de son idéalisme, de sa bienveillance pour les
hommes en général, et de son hostilité envers les humains en particulier. Il
commence à se demander s’il est vrai qu’il soit foncièrement cruel comme le
prétend son adversaire, et si tous ses projets idéalistes n’auraient été que
des hypocrisies par le moyen desquelles il se trompait lui-même.
Ou
bien, prenons le cas de cette femme riche qui s’était toujours considérée comme
très généreuse. Elle découvre soudain, à l’étonnement de sa conscience blessée,
qu’elle est généreuse en ce qui concerne les objets matériels, mais qu’elle
manque totalement de générosité dans les jugements qu’elle porte sur la
conduite des autres.
Des
découvertes de cette espèce sont fréquentes parmi les personnes qui ont de la
maturité psychologique, et elles sont très troublantes. Elles ébranlent la
confiance qu’on a en soi, font douter de sa propre intégrité et peuvent aller
jusqu’à paralyser tout effort. Des souffrances de cette sorte résultant de l’introspection
sont, sans aucun doute, des étapes utiles de notre croissance. Mais la
connaissance tend à dissiper l’anxiété, cette connaissance que les inégalités
de notre nature sont dues à des expériences variées dans le passé de notre âme.
Si nous acceptons la découverte, nous pouvons arriver à regarder nos disparités
intérieures sans passion, en nous rendant calmement compte qu’il est en notre
pouvoir de les niveler, qu’en vérité, les expériences pénibles de la vie ne se
produisent, précisément qu’en vue de ce nivellement. En définitive, toutes les
qualités sont acquises en tenant compte de tous les domaines de l’âme. Mais
nous ne pouvons pas nous attendre à ce que tout se fasse à la fois; ce n’est
pas sans de bonnes raisons que l’année scolaire a neuf mois par an, qu’on
travaille cinq jours par semaine, et ce n’est pas, sans de tout aussi bonne
raisons qu’il nous faut plusieurs vies pour compenser ce qui ne l’a pas encore
été en nous.
…Quand
on aura bien compris l’inégalité des tendances, leur rivalité mutuelle et leur
incomplète neutralisation, la compréhension de soi comme celle des autres sera
incommensurablement plus raffinée.
La
connaissance de l’existence en soi de tendances venues de vies passées compte
une autre implication, notamment à ce qu’on pourrait appeler : l’illusion d’innocence. Pendant des
siècles, nous avons été préoccupés du problème de l’innocence et du péché
originel. Bien des philosophes ont traité de la vraie nature de l’enfant qui
vient de naître – foncièrement bonne ou foncièrement dépravée. Platon considère
que le mental de l’enfant nouveau-né est rempli de réminiscences d’existences
précédentes; Locke le voit table rase,
page blanche sur laquelle les sensations s’inscrivent en impressions dont les
concepts deviennent des idées. Les théologiens considèrent les enfants comme
portant la tare du «péché originel» d’Adam et Ève dont seuls les sacrements
voulus peuvent rédimer.
Du
point de vue réincarnationniste, tous les hommes naissent certainement avec un
héritage : les comportements de nos sois antérieurs. (…)
[L’illusion d’innocence fait en sorte
que] pour la plupart d’entre
nous, nous sommes persuadés d’être beaucoup plus souvent l’offensé que
l’offenseur, la personne maltraitée plutôt que celle qui maltraite. Nous nous
croyons tous bons et innocents. Ceci peut être attribué partiellement à l’orgueil
naturel de la créature; mais c’est beaucoup plus le fait du bain d’oubli dans
lequel nous avons été plongés : notre mauvais passé nous est dissimulé par
la bienveillance de la nature. (…)
Celui
qui a une vue perspicace du caractère humain aperçoit avec exactitude les fonds
dangereux dont la personnalité inconsciente n’est pas consciente. En certaines
personnes, on voit une haine latente; en d’autres, une avidité de domination;
en d’autres encore, une froideur glacée. (…)
Qu’une
pénible expérience se présente et la personnalité peut être tentée de se
plaindre : Je n’ai rien fait
pour mériter cela. Mais l’innocence n’est qu’une illusion; sa logique n’est pas
plus raisonnable que celle de ce Français qui, jugé pour avoir assassiné son
père et sa mère, reconnaissait sa culpabilité mais demandait l’indulgence parce
qu’il était orphelin. Dans le procès fait à la personnalité, celle-ci n’avoue
pas, parce qu’elle n’a pas en toute sincérité conscience du mal fait; mais elle
demande l’indulgence parce qu’elle est orpheline, alors que c’est son propre
crime qui l’a mise dans cette situation. La personnalité s’est
incontestablement rendue coupable de quelque mal ou de quelque faiblesse, sinon
le malheur ne l’eut point frappée. Car personne ne rencontre le mal s’il n’y a
pas quelque mal latent en lui qui l’attire par vibration.
Les
vicissitudes de la vie ont pour but éducatif de modifier le caractère, qu’il
s’agisse de calamités extérieures comme la guerre, la peste ou l’inondation, ou
qu’il s’agisse de tensions intérieures ou de conflits. Quand la psychologie
reconnaîtra que toutes les vicissitudes ont un but sur la spirale de
l’évolution, elle aura fait un grand bon en avant.
De
même, les professionnels de la religion, qu’ils soient prêtres, pasteurs,
rabbins, brahmanes ou tout ce qu’on voudra, devraient avoir une compréhension
profonde des organismes de la vie, intérieurs ou extérieurs, qui opèrent des
modifications sur le caractère humain. Quand, dans leur désespoir les hommes
leur demandent le sens des tragédies de leur vie, ils pourront les consoler et
les encourager d’une manière vraiment scientifique, leur donner des
explications qui ont la clarté et la précision d’une équation algébrique, la
grandeur et l’élan exaltant d’un coucher de soleil en montagne.
Gina
Cerminara (1914-1984)
De
nombreuses demeures… (Adyar,
1984, réédition)
Many
Mansions... (William Sloane Associates, 1950)
COMMENTAIRE
C'est un fait que nous pouvons nous trouver bien bons et bien sages dans notre vie actuelle, mais c'est simplement parce que nous avons en effet appris certaines choses. Mais les gens qui ignorent ce fait sont souvent portés à condamner ceux qui ne sont pas rendus à la même étape. Facile de tomber dans ce piège.
Il est bien évident que l'idée n'est pas de cautionner les actes de cruauté et de malveillance humains, mais nous pouvons aussi comprendre que les individus qui s'y adonnent fonctionnent avec ce qu'ils sont dans cette vie-ci.
Et être une vieille âme ne signifie pas avoir tout compris, tout appris. Ça pourrait être le contraire, car si nous sommes encore ici, c'est que nous n'avons peut-être rien compris... :-)