Divers aspects du karma
Une question est habituellement posée par ceux qui entendent parler du karma et de la réincarnation pour la première fois : «Et l’hérédité?» Presque toujours ce qu’on connaît de l’hérédité paraît en contradiction avec ce qu’on croit savoir du karma. Mais il n’y a, en fait pas de contradiction réelle. Nous héritons surtout de nous-mêmes, non de la famille! La famille n’est qu’un fleuve sur lequel l’âme flotte.
Le fait est que les lois de l’hérédité sont subordonnées à celles du karma… (…) Le courant de l’hérédité physique existe, mais d’autres lois d’attraction magnétique sont à l’œuvre, et leur effet est tel qu’une âme gravite infailliblement vers le groupe familial et les conditions physiques qui correspondent le mieux à ses exigences intérieures.
Ainsi l’hérédité, et avec elle d’autres formes de causalité physique immédiates, sont, en réalité, subordonnées à la contrainte magnétique des lois du karma. Ceux qui attribuent toutes les tendances humaines à l’hérédité et toutes les maladies à des causes physiques immédiates peuvent, de ce point de vue, être comparés aux invités d’un banquet qui remercieraient les domestiques pour ce qu’on leur sert. Bien entendu, ce sont bien les domestiques qui leur apportent les mets à table; mais ils le font sur l’ordre de celui qui les emploie.
Une autre objection communément soulevée à propos du karma est d’ordre éthique. Dans le cas du violoniste aveugle dont nous avons parlé, l’origine karmique de sa cécité avait été attribuée au fait qu’il avait aveuglé d’autres humains au fer rouge lorsqu’il appartenait à une tribu barbare en Perse. Il est normal qu’on se pose la question suivante : comment peut-on tenir quelqu’un pour responsable des coutumes de son époque? (…) Peut-on tenir des exécuteurs personnellement responsables? Et, si la réponse est négative, comment le barbare persan qui aveuglait les prisonniers de guerre ennemis de sa tribu, peut-il être considéré responsable? (…)
Ces questions sont justifiées. Disons que ce n’est pas l’acte qui détermine le karma, mais le mobile, pas la lettre, mais l’esprit. En outre, il est hautement probable qu’il existe quelque chose comme une culpabilité sociale. C’est-à-dire que si les habitudes d’une société constituent un mal au sens ultime, tous les membres de cette société participent jusqu’à un certain point à cette culpabilité. Si, dans un sens éthique essentiel, il est mal de réduire en esclavage, de tuer et de mutiler d’autres êtres humains – et, selon l’antique sagesse, cette atteinte à la libre volonté d’un autre est un mal absolu – alors tous ceux qui sont membres de ladite société sont des coupables, ils sont coupables passivement s’ils ne le sont pas activement. La culpabilité augmente progressivement dans la mesure où, ayant conscience de la signification morale de la coutume, ils n’en continuent pas moins à l’approuver en ne faisant aucune tentative pour abolir le mal. S’ils participent activement à la perpétuation du mal, leur culpabilité augmente proportionnellement.
Aveugler d’autres personnes uniquement parce qu’il se trouve qu’elles sont vaincues dans une guerre de tribus, c’est certainement un acte de cruauté. Si l’homme chargé d’accomplir la besogne qui consiste à brûler les yeux était lui-même l’adversaire d’une telle cruauté, et n’accomplissait cette tâche que parce qu’elle lui était imposée par son chef de tribu, on pourrait concevoir qu’aucune peine karmique ne lui fût imposée. Mais s’il remplissait son office en y consentant dans son for intérieur – c’est-à-dire en recélant intérieurement une cruauté correspondant à celle de la coutume, il déclencherait une cause karmique. (…)
Si l’homme frappé de cécité, dans le cas dont nous parlons, avait, en Perse ancienne, mis à exécution l’acte d’aveugler avec l’esprit de sacrifice qu’apportent les sages dans tous les actes qu’ils font, sans satisfaire son goût propre pour la cruauté et la domination, aucun karma n’aurait été créé. Il s’ensuit, puisque l’acte a effectivement entraîné une conséquence karmique, que nous devons en conclure à la culpabilité de l’auteur de l’acte, culpabilité qui réside dans le fait pour celui-ci de s’être mis au niveau de l’acte qu’il était contraint d’accomplir pour obéir à la coutume de sa société.
Selon les lectures, les difformités dues à la naissance ne sont pas d’origine karmique. Ce point mérite un examen approfondi parce qu’il est important pour une compréhension complète du concept karmique. Quelques-uns qui croient à la réincarnation supposent, que toutes les causes appartiennent au passé, c’est-à-dire qu’ils croient que le malheur et la maladie du présent sont le symbole extérieur de quelque acte commis dans une vie passée. C’est une croyance erronée. La cause peut se trouver ou bien dans un passé immédiat ou bien dans un passé éloigné; en outre, il y a différents niveaux de cause : physique, émotionnel, mental, éthique.
Un élément additionnel à prendre en considération est le fait que des accidents sont parfaitement possibles. Il arrive qu’une infirmité due à la naissance ou une infirmité postérieure, soient purement accidentelles en ce sens qu’elles sont sans lien avec des causes que l’individu auraient créées lui-même. (…)
…En tout cas, il faut reconnaître qu’une difficulté qui survient dans la vie, qu’elle soit dans son origine karmique ou non karmique, représente toujours une occasion de croissance spirituelle. Le karma lui-même ne doit pas être interprété dans un sens fataliste; nous voulons dire qu’il ne doit pas être regardé comme une force aveugle et inexorable. Le karma n’opère pas avec la précision automatique d’une machine dont un bouton de contrôle a été poussé.
Le karma est une loi précise; mais son but est de donner à l’âme une occasion de retrouver la vérité cosmique de l’être et de s’aligner sur elle. Si donc l’âme se rend compte de ses propres défauts et prend l’initiative de se ramener dans la ligne, quelque terrain qu’elle déplace dans son mouvement de retour, c’est autant de gagné sur les effets contraignants du karma.
Le but du karma est d’ajuster l’âme en donnant au mot ajuster le sens de parangonner que lui donnent les imprimeurs lorsqu’ils parlent d’ajustement pour dire qu’un caractère s’aligne bien avec un caractère d’un autre corps. Si l’on se rend compte de la véritable intention du karma qui est éducative ou ajustante dans ce sens, on se rend compte également que ces sanctions ne sont ni arbitraires ni inexorables. En conséquence, on n’accepte pas passivement la sanction, sans faire des efforts positifs en direction de l’apprentissage que la leçon spirituelle, dans sa contrainte, impliquait.
Les lois du mouvement sont très instructives à ce propos. Lorsqu’un corps a été mis en mouvement, il se meut selon une certaine ligne définie. Si une autre force vient agir sur le même corps avec une direction différente de sa ligne originale de mouvement, le corps commencera à se mouvoir sur une autre ligne – une ligne qui est la résultante des deux impulsions différentes. Aucune énergie n’est perdue; aucune loi n’a été violée. Une ligne de force a seulement été modifiée par l’application d’une autre ligne de force. Il en est de même avec le karma : sa direction peut être défléchie ou modifiée et sa force diminuée par la mise en mouvement d’une nouvelle ligne de force, cette nouvelle ligne étant dans ce cas la pensée juste et l’action juste. On voit ainsi qu’une attitude de laisser-faire en face du karma n’est absolument pas nécessaire et manque au contraire son but.
Cela est assez évident en ce qui concerne la personne vis-à-vis d’elle-même; mais une nouvelle subtilité éthique apparaît quand on considère l’attitude à prendre en présence de la situation karmique des autres. La constatation de l’existence du karma pose inévitablement un certain dilemme social. Le mauvais usage du pouvoir dans des incarnations passées conduit à des conditions difficiles. Si nous sommes persuadés que la plupart des afflictions ont leur source dans une transgression morale quelconque, quelle doit être notre attitude vis-à-vis des affligés? Quelle doit être notre attitude vis-à-vis de la condition sociale des autres? (…)
[L’auteur cite le poème de Walt Whitman «Je reste à promener mes regards sur toutes les douleurs du monde» que vous pouvez lire à :
http://artdanstout.blogspot.ca/2014/01/regards-sur-la-souffrance-du-monde.html ]
Sans nous préoccuper des actes fautifs commis par les autres dans leurs vies antérieures, nous devons nous efforcer de les aider – en sachant bien que les barrières invisibles de la loi karmique ne permettront pas qu’il soit empiété sur l’essentiel de leur sanction, et en sachant aussi que l’indifférence devant la souffrance d’autrui est en elle-même une faute que nous commettrions.
Dans un certain sens, le monde extérieur et nos frères humains ne sont qu’un terrain d’entraînement sur lequel nous pouvons apprendre à pratiquer les vertus de l’esprit qui nous sont nécessaires. Nous sommes nous-mêmes un terrain d’entraînement sur lequel les autres peuvent apprendre. En nous souvenant du premier fait, nous échapperons au leurre grandiloquent d’avoir à tort porté secours à l’humanité; en nous souvenant du second, nous devrions être amenés, à propos de nous-mêmes, à la fois à la dignité et à l’humilité. Nos propres fautes sont aussi pénibles pour les autres que les leurs pour nous; mais nos fautes sont pour les autres un enseignement, comme les leurs pour nous.
Un autre aspect de cette matière subtile est le fait que la volonté de l’homme est libre et que tout, jusqu’au moindre détail, n’est pas prédéterminé dans l’histoire au sens fataliste. Ainsi, l’effort que nous faisons pour aider une personne affligée – que son affliction soit physique, économique, sociale ou psychologique – n’est pas seulement une expérience dont nous avons personnellement besoin pour nous perfectionner dans la pratique de la vertu d’amour; c’est une expérience qui peut réussir à modifier la vision mentale de l’autre, sa conscience et, par là, le cours de sa vie.
En dernière analyse, il est nécessaire de comprendre profondément que tout karma est créé par le mental. Une erreur de comportement vient d’une erreur de conscience; un changement intégral de conduite ne peut dériver que d’un changement intégral de conscience. Le mental est le constructeur, et, à moins d’un changement de mentalité et de notion conceptuelle de l’énergie créatrice et de ses rapports avec elle, il est impossible de compenser le karma négatif. (…)
La théorie de la courbure de l’espace – quoi qu’on en pense actuellement dans les milieux scientifiques – est en harmonie parfaite avec l’idée karmique, à la façon que voici : si l’univers peut être considéré comme circulaire par nature, et, par conséquent, prédisposant tous les mouvements cosmiques à être eux-mêmes circulaires, il s’ensuivrait que la loi du karma, comme nous l’appelons, ne serait autre chose que le résultat final du mouvement circulaire de chaque acte. Un acte, quel qu’il soit, constitue une utilisation de l’énergie. Le fait du karma peut donc être possible parce que l’énergie dirigée par la conscience contre un objet extérieur traverse directement cet objet, comme un rayon X perçant un solide, mais continue sa course circulaire autour de l’univers jusqu’à ce que, finalement, cette énergie revienne à celui qui l’a mise en mouvement, n’ayant rien perdu de sa force, malgré ses nombreux voyages.
Ainsi, un acte bienveillant d’un homme envers un chat affecte objectivement le chat; mais l’énergie de cet acte continue son voyage circulaire vers l’extérieur jusqu’à ce que, finalement, elle revienne vers l’homme sous la forme d’acte bienveillant. Il en est de même d’un acte de cruauté contre un autre être vivant : cet acte a son effet objectif mais continue en cercle sa propre impulsion de vie jusqu’à ce que, finalement, il revienne sous la forme d’un acte de cruauté à celui qui en est l’initiateur.
Bien que cette thèse ne soit qu’une fantaisie spéculative, l’idée a un certain pouvoir de suggestion comme pourra le découvrir chacun de ceux qui essaieront de l’appliquer pendant quelques jours. Si nous imagions que chacun des actes que nous accomplissons par rapport à d’autres personnes, commence un voyage circulaire qui se terminera en nous affectant exactement nous-mêmes, nous verrons que quelques-unes de nos impulsions seront purifiées et quelques-uns de nos actes ennoblis avec une surprenante instantanéité.
Le concept karmique est important parce qu’il fournit une raison scientifique aux exhortations à la bonté que nous trouvons dans les diverses religions du monde. Paul Brunton n’exagère probablement pas lorsqu’il dit que la sécurité et la survivance de la civilisation occidentale dépendent du rétablissement de l’idée de karma dans la pensée des masses; car la connaissance du karma, bien comprise, donne à celui qui la possède, une approche qui est religieuse sans être superstitieuse, scientifique sans être grossièrement matérialiste. Le concept karmique donne à la fois à l’homme le courage de supporter et le courage d’oser. Il peut accepter les conséquences de ses propres actes passés avec une résignation dynamique plutôt que statique, sachant qu’à tout moment il a le pouvoir de lancer de nouveaux trains d’actions et de créer une destinée nouvelle et plus abondante.
…Le karma représente les frontières dans lesquelles les desseins et les créations de l’homme par lui-même doivent se tenir. Le karma est ce qui limite et discipline; mais il est en même temps le libérateur et l’ami. (…)
La réponse à tous les problèmes est au-dedans de soi
La phrase «la réponse est au-dedans» doit être entendue en des sens divers. Premièrement, il faut chercher la raison de toute difficulté au-dedans de soi, car d’après la loi de karma, tout ce qui arrive a été créé par nous et nous l’avons mérité. Les conditions extérieures ne font que refléter, à la façon d’un miroir, quelque chose qui se trouve au plus profond de nous-mêmes. Dans tout ce qui nous arrive, c’est nous-mêmes que nous rencontrons, et il s’ensuit qu’une auto-analyse aigüe nous donnerait la clef de tous les événements de notre vie.
Deuxièmement, l’inconscient conserve le souvenir de tout ce qui nous est arrivé depuis le commencement de notre individualisation. Ainsi, nous avons en nous un réservoir de connaissance auquel nous pouvons puiser en immobilisant les sens extérieurs et en dirigeant notre attention vers l’intérieur, dans le processus de la méditation.
Troisièmement, au plus profond de nous gît, emprisonnée, la splendeur, la divine essence par laquelle nous ne faisons qu’un avec l’énergie créatrice de l’Univers. La solution de tout problème est donc de nous tourner vers le dedans, vers cette énergie rayonnante émanant de notre soi divin. (…)
À celui qui peut l’admettre, la réincarnation offre une raison de vivre, une étoile polaire pour le guider et la certitude qu’il n’est pas perdu dans un chaos de forces sans signification sur lesquelles il n’a pas de contrôle final.
Gina Cerminara (1914-1984)
De nombreuses demeures… (Adyar, 1984, réédition)
Many Mansions... (William Sloane Associates, 1950)
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