Quelques problèmes que pose le mariage
Quand ils se sont choisis, les deux partenaires constituaient une combinaison karmique donnée, ils sont soumis à une certaine interaction psychologique. (…) En faisant une comparaison avec le théâtre, on pourrait décrire la situation comme il suit.
En prenant la décision de se prendre pour époux, un homme et une femme se sont mis d’accord, sans le savoir, pour jouer à nouveau ensemble – tels des camarades comédiens – comme ils l’avaient déjà fait antérieurement à plusieurs reprises. Ils ont fait ressurgir une certaine mise en scène pour la pièce qu’ils vont jouer dans cette vie-ci. Il pourra y avoir, dans le décor, plusieurs plans successifs : pris dans le lointain passé et pour servir de fond à ce qui va se jouer. (…)
À présent, ils reprennent les fils du drame qui s’est joué entre eux à la cour de France par exemple, brillante et sophistiquée. Les rivalités, les intrigues, les trahisons et les tromperies peuvent avoir été les événements des actes précédents, dont le rythme crescendo atteignit son maximum dramatique dans la haine et le meurtre. Ou bien des épisodes ont pu se succéder à travers les époques avec moins de violence; peut-être les plus récents éléments de conflits ont-ils été des formes plus subtiles de cruauté psychologique : l’insolence, l’égoïsme, la raillerie, l’indifférence.
Mais quel qu’aient pu être les faits dramatiques antérieurs, les deux protagonistes de cette nouvelle pièce ont, à tout moment, la possibilité de modifier le développement de l’intrigue. De même que dans la célèbre commedia dell’arte italienne où la troupe s’est entendue sur une esquisse générale de l’action mais où les acteurs improvisent leur texte et créent les situations et leur dénouement à mesure qu’ils jouent, les acteurs de cette nouvelle pièce sont libres, à tout moment, de modifier la trame de l’intrigue et de racheter ainsi la faiblesse des actes précédents.
Ou bien, pour quitter l’analogie théâtrale, nous pourrions dire que chaque personne use de son libre arbitre pour choisir son partenaire en mariage comme en toute chose, mais que le fait de choisir ressemble au fait de monter dans l’autobus; une fois dans le véhicule, on est tenu à un certain trajet fixe, à une certaine direction générale qui sont différents de ceux qu’on aurait empruntés en choisissant un autre autobus. En outre les conditions dans l’intérieur de l’autobus peuvent n’être pas entièrement à notre goût. Le conducteur peut être désagréable et grossier, l’atmosphère étouffante, les vitres impossibles à ouvrir et notre voisin trop bavard. Un nombre imprévu d’incidents de toutes sortes peuvent se produire sur cet autobus 92 qui ne se fussent pas produits sur le 63. Mais l’attitude que nous aurons et notre conduite générales pendant le trajet dépendent de nous-mêmes, et quelles que puissent être les circonstances, nous sommes finalement responsables de notre attitude et de notre conduite. (…)
Malheureusement, la psychologie moderne ne tient presque jamais compte de la puissance de l’amour. L’amour, pour la plus grande partie des analystes, est une manifestation de la libido; depuis, les brillantes expériences de Watson sur les bébés qu’on feignait de laisser choir pour calmer leur angoisse par des caresses, les psychologues admettent que l’amour est une des trois émotions humaines légitimes. Mais l’amour en est encore à se faire officiellement admettre comme une force positive de l’univers et, en conséquence, comme une des qualités essentielles des parties fragmentaires que nous sommes – comme le dissolvant souverain de tous les maux humains. Peut-être cela tient-il à ce que le mot intimide les psychologues. Nous comprenons leur réticence – si tant est qu’il s’agisse de réticence – car si le mot « amour » était aussi claironné que l’a été le mot « service », il ne manquerait pas d’être tout aussi dégradé par la fausse boursouflure commerciale et par la pseudo-noblesse que l’est ce dernier mot.
Le mariage commence habituellement dans l’illusion de l’amour possessif. Ses vicissitudes et ses tristesses n’existent que pour nous enseigner la vérité de l’amour en tant qu’être.
Infidélité et divorce
Dans tous les pays où la monogamie est la règle, l’infidélité est un problème conjugal est très répandu. Peut-être l’explication fondamentale de cette fréquence est-elle biologique.
Il faut bien entendu ajouter aux facteurs biologiques des facteurs sociaux psychologiques qui contribuent à l’infidélité conjugale. Mais si l’on adopte le point de vue réincarnationniste, il devient intéressant de rechercher si l’infidélité peut avoir des origines karmiques. (…)
Les répertoriés semblent bien indiquer que la déloyauté de l’un des conjoints obéit à une nécessité karmique, bien qu’ils ne prouvent pas que tous les cas d’infidélité soient karmiques. (…)
En l’absence de connaissance clairvoyance des faits des vies antérieures et des mérites de chaque cas, on reconnaît qu’il n’est pas facile de découvrir quand il est légitime de rompre les liens. (…) Selon le point de vue réincarnationniste, le mariage est une institution beaucoup moins sacro-sainte que ne l’imaginent les gens. Si la société veut que le mariage soit indissoluble, cela est bel et bon; sinon, c’est bel et bon également. La loi cosmique ne sera tournée ni par l’un ou l’autre système; Les formes extérieures que l’homme établit sont presque aussi arbitraires et dénuées d’importance que les règles de l’écarté. En dernière analyse, les règles que l’on établit pour un jeu, quel qu’il soit, n’ont aucune importance, parce qu’à travers les formes et les conventions de tous les jeux, c’est l’habilité et l’honnêteté de celui qui joue qui constituent leur valeur intrinsèque.
D’autre part, le mariage est plus sérieux que ne l’imaginent bien des gens. Les obligations que des milliers de personnes négligent si légèrement chaque année ne sont pas seulement des conventions sociales dénuées de signification; elles trouvent leur véritable force de cohésion dans la nature de l’humanité qui est un grand corps dont chacun est une cellule vivante. (…)
Sachant que notre partenaire vient à nous par l’entremise d’anciens attractifs; sachant que ce n’est par le hasard mais l’intention précise de notre Surmoi qui nous a guidé vers telle ou telle situation, même la moins réjouissante; sachant qu’au sein du désaccord se trouve une occasion de progresser par l’altruisme, nous considérons le divorce presque comme une privation. Inversement, si nous reconnaissons qu’aucune institution ne doit maintenir qui que ce soit de force dans des liens malsains, source de conflits et contraires à la nature; que les perles d’un amour altruiste ne doivent pas être jetées aux pourceaux de l’égoïsme non régénéré, nous verrons dans le divorce une procédure tout aussi convenable, saine et morale que la dénonciation de n’importe quel contrat légal.
Nous voici revenus à l’équilibre, à la modération, à la règle d’or du juste milieu. Il est des vertus qui doivent recherchées non seulement par des individus dans leur quête de perfection spirituelle, mais également par la société dans son effort pour trouver les formes qui permettent aux individus de s’exprimer.
Parents et enfants
Pendant des siècles, la famille a été plus ou moins une souveraineté à la tête de laquelle se trouvait le père – ou la mère dans certaines civilisations. De telles souverainetés continuent à exister; en fait, elles sont dominantes. D’un point de vue matérialiste, les enfants peuvent réellement être considérés comme la propriété de leurs parents : mis au monde par les peines et les sacrifices de la mère; entretenus par le labeur et le sacrifice du père. Matériellement, les père et mère sont plus robustes, plus mûrs et plus puissants que les enfants – ils ont donc le droit de régner.
Mais dans la réalité spirituelle, il n’y a pas de supériorité absolue des parents. Toutes les créatures vivantes sont les membres égaux d’une vaste communauté spirituelle. Sur le plan spirituel, les parents ne possèdent pas leurs enfants; ils ne sont même pas leurs créateurs. Ils se bornent à susciter leur venue. Un mystérieux processus à l’œuvre dans leur corps leur permet de s’unir un instant à un compagnon et de mettre en œuvre un processus non moins mystérieux qui se traduit par la préparation et la naissance d’un corps.
Ce corps devient l’habitat d’un autre être spirituel comme nous.
Momentanément, il est désarmé et ne peut parler; la responsabilité que nous sentons et les soins que nous assumons pour cette petite créature sont des expériences valables. Elles conduisent au sacrifice et à l’amour; à la tendresse et à l’attachement le plus profond. Et les choses sont ce qu’elles doivent être tant qu’elles ne mènent pas à la possession et à la domination sous l’une de leurs nombreuses formes.
Les parents ne doivent avoir envers leurs enfants ni un sentiment de supériorité dominatrice, ni un sentiment d’infériorité envieuse; et cette attitude de calme détachement, la seule qui convienne aux parents envers les créatures dont ils ont la charge, n’est possible que par leur connaissance de cette vérité spirituelle centrale que tous les êtres, tous les esprits ont été créés égaux. Les parents sont les « canaux » par lesquels la vie coule, et à travers lesquels les âmes ont l’occasion de se réincarner. (…)
De nombreux principes sont à l’œuvre dans l’attirance d’enfants à parents. Mais comme les fils d’une bonne troupe de marionnettes, ces principes sont en grande partie dissimulés à nos yeux; (…)
S’il est vrai que les semblables s’attirent, il semble également vrai que, pour diverses raison karmiques, d’anciens rivaux et des tempéraments opposés sont souvent poussés l’un vers l’autre. (…)
Les entités qui reviennent sur terre ont une certaine liberté de choix en ce qui concerne leurs parents; en général, le choix des parents paraît être une prérogative de l’âme. On ne comprend pas facilement pourquoi une entité à naître choisit délibérément pour milieu un taudis, des parents dégénérés, une mauvaise constitution physique out toute autre circonstance défavorable. Superficiellement, un choix de ce genre paraît psychologiquement indéfendable; mais, par une analyse plus profonde, on voit qu’il y a pas de véritable contradiction psychologique. (…) La décision réfléchie d’accepter une situation peu plaisante n’est pas un acte qui ne se puisse concevoir humainement; il arrive souvent qu’on choisisse de supporter quelque désagrément quand on l’envisage comme un moyen pour une fin.
Il est assez curieux que cette liberté de choix semble avoir une influence sur la mortalité infantile. En général, si l’on en croit les lectures, l’âme peut avoir, à la naissance, la vision de la situation terrestre dans laquelle elle se trouvera impliquée en choisissant ses parents; mais la présence du libre arbitre fait que tous les événements futurs ne peuvent connus d’avance. En conséquence, l’âme, après avoir fait choix de ses parents et être venue au monde, peut s’apercevoir que lesdits parents ne répondent pas à ce qu’elle en attendait avant sa naissance. Se rendant compte alors que le but par elle antérieurement poursuivi en se réincarnant pourrait ne pas être atteint, les circonstances s’avérant différentes, l’âme se retire.
Des retraits de cette sorte sont des phénomènes courants. S’il en est ainsi, les morts de bébés peuvent se comparer – à tout le moins dans certains cas – au départ discret d’un spectateur à la fin d’un premier acte décevant. (…) Parfois, la mort d’un tout petit bébé peut s’interpréter comme une expérience douloureuse dont les parents ont besoin; l’enfant n’est apparu qu’un instant dans un esprit de sacrifice, pour les aider à faire l’expérience d’une atroce souffrance dont il faut apprendre à guérir pour que l’âme grandisse.
[Commentaire : Pas de contraception; et certaines familles, encore aujourd’hui un peu partout dans le monde, sont des fabriques à enfants pour la main-d’œuvre potentielle…]
Complications familiales d’ordre karmique
Beaucoup d’individus sont torturés par d’inexplicables animosités qui naissent entre eux et leurs frères et sœurs. (…) On sait bien qu’il y a dans toute famille d’excellentes raisons d’antagonisme basées uniquement sur les frictions contemporaines. La chimie du tempérament est ainsi faite que les éléments d’incompatibilité qui pourraient n’être que des causes d’indifférence ou d’antipathie superficielle au cours de rencontres occasionnelles, deviennent, dans le creuset de l’intimité familiale, parfaitement intolérables et même explosifs.
Ceux qui critiquent les vues réincarnationnistes pourraient, d’une part, souligner ce fait, et, invoquant d’autre part la loi d’économie (l’explication la plus simple est la meilleure), dire qu’il n’y a aucune nécessité d’émettre l’hypothèse de la réincarnation pour expliquer les haines familiales, lorsque les faits s’expliquent suffisamment par eux-mêmes. La plupart des réincarnationnistes se diraient pleinement d’accord avec cette objection, n’était qu’ils sont perdu toute foi en la loi d’économie telle qu’elle est couramment interprétée. Cette loi a eu une fonction nécessaire en mettant un frein salutaire aux spéculations de l’homme sur l’univers; mais la vision de cet univers, élargie par les nouvelles découvertes de la science – sans parler des horizons théoriques du principe de réincarnation – jette sur la supposition que l’explication la plus simple doit être la bonne, l’aveuglante lumière d’un projecteur, et montre que cette loi pourrait n’être autre chose que la révélation de la simplicité d’esprit de l’homme – plutôt qu’une référence exacte à la simplicité des opérations cosmiques. Ce qui est maintenant conçu comme « simple » pourrait, à la lumière de faits nouveaux, apparaître simplement comme fragmentaire.
Si on admet que le caractère général de la réincarnation est raisonnable, les détails sujets à discussion sont tout naturellement remis en bonne place. Encore que des raisons contemporaines puissent, de toute évidence, être trouvées à toute hostilité entre êtres humains, il est, en même temps, concevable que la base de cette hostilité puisse avoir été jetée il y a bien des siècles.
Bien entendu, il faut se rappeler que le fait de découvrir dans une vie passée la cause d’un antagonisme, n’amène pas ipso facto sa disparition. Si ceux qui subissent le même joug, vie après vie, il leur faut faire une tentative consciente, délibérée et patiente pour substituer l’amour à la haine et la bienveillance à l’hostilité.
Cet avis vaut non seulement pour les animosités qui se produisent au sein d’une même famille; il vaut pour tous les antagonismes et pour tous les liens qui nous relient à des individus de quelque manière que ce soit. En dernière analyse, les transpositions constantes de rôles dont nous avons l’expérience en ce qui concerne la famille devraient bien nous montrer que, dans l’ultime réalité, nous ne sommes membres d’aucune famille en particulier. Nous sommes plutôt membres de la grande famille que constitue la race humaine; il nous faudrait apprendre à vivre constamment avec la conscience de cette vérité.
Gina Cerminara (1914-1984)
De nombreuses demeures… (Adyar, 1984, réédition)
Many Mansions... (William Sloane Associates, 1950)