L'éveil à travers les yeux d'une femme de 92 ans
Anne Bancroft (1)
À mon âge, 92 ans, la mort est très proche. J'éprouve des sentiments mitigés. En partie il y est la réaction normale de l'homme pris de panique à la pensée de l'extinction…
Mais beaucoup plus forte est la fiabilité que je peux accorder aux idées (insights) qui me sont venues au cours des années. Elles n'affectent pas l'extinction qui va arriver. Mais la compréhension met la peur en perspective.
La première idée est venue lorsque j'étais vers la fin de la trentaine alors que je passais par le traumatisme du divorce. Une nuit, j'ai ressenti un profond repentir par rapport à mes propres actions. Le lendemain matin, j'ai allumé la radio et mon monde a changé. Avec la première note de musique, une sorte de réalité radicalement différente a soudainement surgi. Rien de physique n'était modifié mais je voyais que tout avait une clarté et une profondeur que je n'avais jamais perçue auparavant, une 'thusness' (justesse?), une 'just so-ness" (évidence?), qui n'avait rien à voir avec le monde des opinions. Voir les choses de cette façon a introduit un bonheur indescriptible. J'avais l'impression d'être partie intégrante d’un tout sans division, une totale union. C’était sublime et ç’a duré pendant trois jours avant de s'évanouir et de disparaître. Je pensais que ce serait là toute ma vie.
L'expérience avait été tellement transformatrice que j'ai supposé que tout le monde la connaissait mais que je n'en avais jamais entendu parler. Alors, comment savoir? Ça ne semblait pas avoir de lien avec la religion telle que je la connaissais. J'ai donc choisi un livre d’Aldous Huxley a appelé The Perennial Philosophy. Dès que j’ai commencé à lire sur le bouddhisme j’ai su que j'avais trouvé un fil conducteur.
Je suis allé au siège de la Société bouddhiste de Londres et là, j’ai rencontré son président, Christmas Humphreys, un juge de la Cour suprême. C’était un peu bizarre, que le Bouddha nomade soit si bien perçu par un juge de la Cour suprême; mais je découvris un Humphreys qui laissait de côté les lois de la cour dans sa vie privée, et qui était rassurant et sympathique. J'ai appris que personne ne l’appelait Christmas, on l’appelait Toby.
Après lui avoir décrit ce qui m'était arrivé, il s'est arrangé pour que je rencontre le Dr Daisetz Suzuki, un maître zen, venu de son temple au Japon pour une rare visite en Angleterre. J’imaginais qu'un maître Zen devait être impressionnant, mais le Dr Suzuki était à l'opposé – petit, vieux et fragile. Il me dit que j'avais vécu ‘Satori’. Il le savait car cela était toujours précédé par un son, comme la note de musique que j'avais entendue.
«Il doit y avoir, dit-il, un bouleversement mental général qui détruit les anciennes accumulations de l’intellect et établir les bases d'une nouvelle vie; c’est l’éveil d'une nouvelle acception qui examinera les vieilles choses selon un angle d'observation insoupçonné jusque là.»
Je lui ai demandé ce que je devrais faire par la suite. Il m'a conseillée de faire confiance à la vie et non pas de cherche des explications, et plutôt de faire l'expérience de ce qui est ici et maintenant, tel quel, simplement ça. Il a également dit que je devrais englober les deux branches du bouddhisme – la sagesse et la compassion. La sagesse de voir les choses comme elles sont et la compassion de toujours agir à partir d'un coeur généreux.
Ce conseil m'a suivi dans et hors de ma vie depuis dans la mesure où j’étais capable de relever ce défi. Il a maintenant acquis une bonne place tandis que j'arrive à la fin de cette vie.
http://www.awaken.com/ Le 6 mai 2015
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(1) Anne Bancroft, fille de l'éditeur de Sir Winston Churchill, est l'auteur de nombreux livres sur le Bouddhisme et le Zen, notamment : Zen, Direct Pointing to Reality, Weavers of Wisdom, et 20th Century Mystics and Sages, The Pocket Buddha Reader. Elle vit à Londres, en Angleterre.
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Cette histoire me rappelait le recueil de témoignages de personnes célèbres et inconnues ayant vécu des états de conscience cosmique (‘satori’ ou illumination), rapportés par Richard Maurice Bucke, M.D., dans son ouvrage La conscience cosmique Une étude de l’évolution de la conscience humaine (Éditions du IIIe millénaire, 1989).
Voici la description très détaillée d’une inconnue. Je suis persuadée que beaucoup de gens vivent ce genre d’expérience au moins une fois dans leur vie, sans en parler.
Cas de C.M.C. en ses propres mots
(p. 281)
Il est important de bien comprendre que, lorsqu’elle a écrit les pages qui suivent, C.M.C. (et on peut dire la même chose, en vérité, de toutes les personnes dont le récit est donné ici) n’avait à l’esprit aucun cas antérieur ou contemporain sur lequel, si elle en avait été capable, elle aurait pu modeler sa narration. Cette dernière, cela est hors de doute, est le récit fidèle (aussi simple et direct que C.M.C. ait pu le rendre) de sa vie psychologique réelle, comme elle l’a vécue.
Je suis née en 1844. On m’a dit qu’étant enfant, je n’ai jamais eu l’air jeune – c’est-à-dire qu’avec ma jeunesse il y avait un air de réflexion qui est le propre d’un âge plus avancé. Je ne peux me souvenir d’un moment où je ne pensais pas à Dieu et ne me posais pas de question à son sujet. La beauté et le sublime de la nature m’ont toujours, depuis ma plus tendre enfance, impressionnée profondément. Je suis allée à l’église et à l’école du dimanche, j’ai écouté attentivement les prières et les sermons – j’ai réfléchi à ces derniers bien plus qu’on le supposait probablement. Les sermons étaient ceux de la vieille école presbytérienne – le jour du jugement, la déchéance des pécheurs, les péchés mortels et toutes ces choses si effrayantes pour une enfant sérieuse et imaginative. Plus je grandissais et plus je réfléchissais, plus je devins perplexe et troublée. Je versai des larmes sur les souffrances de Jésus, affligée de ce que mes péchés l’avaient cloué à la croix. Comment il pouvait être Dieu, je ne pouvais le comprendre, mais je n’ai jamais douté que ce soit vrai. J’ai étudié la Bible et le catéchisme, et spécialement la «Profession de foi», non seulement parce que c’était un devoir, mais parce que je sentais que je devais découvrir la vérité. Comme je me sentis mal lorsque j’appris que, sans les Évangiles, les païens ne pouvaient pas être sauvés. Cette cruauté et cette injustice me firent presque haïr Dieu pour avoir ainsi fait le monde. Je joignis l’église, cependant, pensant que cela pourrait m’apporter la paix et le repos; mais quoique je me sois sentie plus en sécurité, j’étais toujours insatisfaite. Alors que j’étais encore une petite fille, nous avons commencé à ramener à la maison des documents de l’église assez libéraux, que je lus et qui m’apportèrent un certain réconfort puisqu’ils montraient que les doctrines étroites dans lesquelles j’avais été élevée ne représentaient pas toute la chrétienté.
À ce moment-là, «Le Paradis Perdu», «Course of Time», et, de Pollok, «Pilgrim’s Progress», étaient très bien vus. «Course of Time», cependant, me laissa déprimée pendant plusieurs semaines. Malgré tous mes efforts, j’étais incapable de concilier la vastitude et la grandeur de Dieu, que je sentais dans la nature, avec le Dieu de la Bible et, naturellement, je me voyais par conséquent comme une affreuse sceptique. Cela continua ainsi et, quoique j’aie présenté toutes les apparences du bonheur et de la plénitude de la vie comme les autres filles, il y avait toujours ce courant sous-jacent – une veine de tristesse profondément enfouie, hors de vue. Souvent, lorsque je marchais sous les étoiles, contemplant ces profondeurs silencieuses avec un indicible désir de quelque réponse aux questions inexprimées qui étaient en moi, je me suis laissée tomber sur le sol dans une parfaite agonie d’aspiration. Mais si les étoiles connaissaient le secret que je cherchais, elles n’en donnèrent aucun signe. Mon expérience était sans doute banale – en grande partie celle des filles ordinaires qui vivent une vie banale – avec des aspirations et des idéaux au-delà, selon toute apparence, de tout espoir d’exaucement. À vingt-deux ans, j’étais mariée.
Dix ans plus tard, un déménagement brisa la vieille routine de ma vie, me procurant un nouvel entourage et de nouveaux intérêts. Je fus propulsée dans un milieu où les gens avaient des tendances libérales et je commençai bientôt à lire des livres et des revues que je trouvais dans les mains de mes nouvelles connaissances. «Belfast Address» de Tyndall, un des livres en question, était le premier livre réellement réfléchi (du point de vue de la science moderne) que je lisais et il fut une révélation pour moi. À partir de ce moment-là, sans entrer très profondément dans le sujet, j’acquis une idée générale de l’évolution et, graduellement, les anciennes conceptions firent place à d’autres, plus rationnelles et plus en accord avec mes propres sentiments. Les questions de dessein et de but dans la nature, d’immortalité individuelle, etc., je laissais à la recherche scientifique le soin de les découvrir, si elles devaient jamais être découvertes. Mon attitude était celle d’une agnostique.
J’en étais à ce point, pas entièrement satisfaite il est vrai. On était passé à côté de quelque chose dans la vie qu’il me semblait devoir exister : des profondeurs de ma propre nature qui n’avaient pas été atteints. L’abîme entre ce que j’étais et ce que j’avais besoin d’être était large et profond, mais comme cette même incomplétude était évidente chez les autres, je l’acceptais comme étant ma part du lot commun. Mais maintenant, au milieu de cette vie, vie apparemment fixée pour le meilleur et pour le pire, devait survenir un nouvel élément qui devait me transformer ainsi que ma vie et le monde à mes yeux. L’âme, mon être le plus intérieur, devait s’éveiller et exiger son dû! Une force irrésistible devait s’éveiller qui déchirerait, d’une violente secousse, le voile derrière lequel la nature cache ses secrets. Une maladie associant prostration physique et une perturbation mentale et émotionnelle tout aussi extrême, me révéla les profondeurs de ma propre nature. Après quelques mois, mes forces étaient refaites et mon état mental, jusqu’à un certain point, amélioré, mais l’agitation profonde demeurait. Avec le pouvoir de souffrir vint le pouvoir d’être en sympathie avec tout ce qui souffrait. Ce que j’avais jusque là réalisé ou connu de la vie était la piqûre d’une aiguille en comparaison d’un coup de dague. J’avais vécu en surface; maintenant, je descendais dans les profondeurs et, à mesure que je descendais plus profondément, les barrières qui m’avaient séparée de mes pareils étaient renversées et le sentiment de fraternité avec chaque créature vivante s’était approfondi de sorte que j’étais oppressée par un double fardeau. Ne devais-je plus jamais connaître le repos ou la paix? Il semblait que non. La vie offrait plusieurs bienfaits – un foyer, un mari, des enfants, des amis – mais c’était avec désarroi que je pensais aux années à venir jusqu’à ce que la mort me libère.
Walt Whitman, dans les «Feuilles d’herbe», a dépeint cette phase du développement mental et spirituel avec une puissance et une sublimité merveilleuse, comme ceux qui regardent profondément dans leur propre nature doivent le voir. En ces merveilleux poèmes, la nature elle-même fait entendre sa voix, se déchargeant de la douleur et de la passion élémentaires, en des mots vivants et brûlants comme la lave qui se déverse en torrents du volcan – pas seulement sa voix, mais celle de l’âme de l’humanité, emprisonnée, luttant pour briser les liens qui la retiennent et l’enserrent, Comme il est doux de s’appuyer sur cette grande âme! de sentir cette tendre sympathie humaine! et de voir les hauteurs qu’il avait atteintes, et de savoir le chemin qu’il avait parcouru. Quel courage!
Laissant de côté l’intervalle entre cette époque et septembre 1893, ceci n’ayant pas d’importance, sauf pour une lutte intérieure constante, je vais décrire, aussi bien que possible, l’événement suprême de ma vie, qui, indubitablement, est en rapport avec tout le reste et est le résultat de ces années de recherche passionnée.
J’en étais venue à constater que mon besoin était plus grand que je ne le croyais. La douleur et la tension, profondément, au cœur et au centre de mon être, étaient si grandes que je me sentais comme une créature qui serait devenue trop grosse pour sa coquille mais qui n’aurait pu s’en échapper. Ce que c’était, je ne le savais pas, sauf que c’était une grande et vive aspiration – à la liberté, à une vie plus ample, à un amour plus profond. Il ne semblait y avoir aucune réponse, dans la nature, à ce besoin infini. La grande marée balaya tout, insolente, sans pitié, et la force partie, toutes les ressources épuisées, il ne restait rien, que la soumission. Alors je me dis : il doit y avoir une raison, un but à cela, même si je ne peux la saisir. Le Pouvoir entre les mains duquel je me trouve peut faire ce qu’il veut de moi! Il se passa plusieurs jours après cette résolution avant que le point d’abandon total ne soit atteint. Entretemps, avec tous mes sens intérieurs, je cherchais ce principe, quel qu’il soit, qui me soutiendrait lorsque j’abdiquerais.
Finalement, soumise, avec une curieuse force croissante dans ma faiblesse, je m’abandonnai! Rapidement, à ma grande surprise, je commençai à sentir un confort physique, un repos, comme si une tension ou une pression avait été enlevée. Jamais, auparavant je n’avais fait l’expérience d’un tel sentiment de parfaite santé. Je m’en étonnais. Et combien brillant et merveilleux était le jour! Je regardais le ciel, les collines et la rivière, étonnée de n’avoir jamais constaté combien divinement beau était le monde! La sensation de légèreté et d’expansion continua d’augmenter, les rides s’estompaient sur la face des choses, rien au monde ne semblait déplacé. Au dîner, je remarquai : «Comme je me sens étrangement heureuse aujourd’hui!» Si j’avais compris alors, comme je le fis par la suite, quelle grande chose m’arrivait, j’aurais sans doute laissé tomber mon travail et me serais donnée tout entière à sa contemplation, mais cela semblait si simple et naturel (avec toutes ses merveilles) que je continuai avec mes affaires comme d’habitude. La lumière et les couleurs brillaient, l’atmosphère semblait trembler et vibrer autour et au-dedans de moi. Une paix, une joie et un repos parfaits étaient partout et, plus étrange que tout, il me vint le sentiment d’une certaine présence sereine, magnétique – grandiose et imprégnant tout. La vie et la joie en moi devenaient si intenses que, dans la soirée, je devins agitée et j’allais de pièce en pièce, ne sachant plus trop quoi faire de moi-même. Je me retirai tôt cette nuit-là pour pouvoir être seule et, bientôt, tous les phénomènes objectifs furent exclus. Je voyais et comprenais la signification sublime des choses, leurs raisons, ce qui était auparavant caché et obscur. La grande vérité, que la vie est une évolution spirituelle, que cette vie n’est qu’une phase transitoire dans la progression de l’âme, éclata avec une grandeur écrasante devant ma vue et me laissa ébahie. Oh! pensais-je, si c’est là ce que cela signifie, si c’est là le résultat, alors la douleur est sublime! Bienvenue, siècles, éternités de souffrances si cela mène à ceci! Et la Splendeur augmentait toujours. Alors, ce qui semblait être une marée vive de splendeur et de gloire ineffable déferla sur moi et je me sentis enveloppée, engloutie.
Je me sentis partir, me perdre. J’étais alors terrifiée, mais d’une douce terreur. Je perdais ma conscience, mon identité, mais j’étais impuissante à me retenir. Puis vint une période de ravissement si intense que l’univers se tint immobile, comme étonné de l’indicible majesté du spectacle! Seule dans l’univers infini! Et avec le Tout-Amour, le Parfait! La Sagesse Parfaite, vérité, amour et pureté! Et avec le ravissement vint la vision intérieure. En ce même merveilleux moment de ce qu’on peut appeler béatitude divine vint l’illumination. Je vis, avec une intense vision intérieure, les atomes ou les molécules dont, apparemment, l’univers est composé – je ne sais s’ils étaient matériels ou spirituels – se réarranger, à mesure que le Cosmos (dans sa vie continue, sans fin) passe d’un ordre à un autre ordre. Quelle joie lorsque je vis qu’il n’y avait aucune interruption dans la chaîne – pas un maillon qui manquait – toute chose à sa place et en son temps. Les mondes, les systèmes, tous fusionnés en un tout harmonieux. La vie universelle, synonyme d’amour universel!
Combien de temps dura cette période de ravissement intense, je ne sais – cela peut n’avoir duré que quelques instants. Puis, vinrent la relaxation, les larmes de bonheur, les expressions ravies, murmurées. J’étais sauve : j’étais sur la grand-route, la route ascendante que l’humanité avait parcourue, les pieds ensanglantés, mais avec un espoir inextinguible dans le cœur et des chants d’amour et de confiance sur les lèvres. Je comprenais, maintenant, les anciennes et éternelles vérités, toujours fraîches et neuves et douces comme l’aurore. Combien de temps dura cette vision, je ne saurais le dire. Au matin, je m’éveillai avec un léger mal de tête, mais avec un sens spirituel si fort que ce que nous appelons le réel – les choses matérielles autour de moi – me semblait brumeux et irréel. Mon point de vue était entièrement changé. Les vieilles choses étaient mortes, et tout était devenu nouveau. L’idéal était devenu réel, l’ancien réel avait perdu sa précédente réalité et était devenu brumeux. Cette irréalité brumeuse des choses extérieures ne dura pas plusieurs jours. Chaque désir du cœur était satisfait, chaque question trouvait sa réponse, les «fleuves réprimés et douloureux» avaient atteint l’océan – j’aimais infiniment et j’étais infiniment aimée! La marée universelle coulait en moi en vagues de joie et d’allégresse, déferlant sur moi comme un torrent de baume odoriférant.
Ceci décrit une véritable sensation. L’amour et la tendresse infinis semblent réellement se déverser sur moi comme une sainte onction guérissant toutes mes blessures et contusions. Combien folle, combien enfantine me semblaient maintenant l’irritabilité et le mécontentement en présence de cette majesté sereine! J’avais appris une grande leçon : la souffrance est le prix à payer pour tout de qu’il vaut de posséder; de quelque façon mystérieuse, elle nous raffine, nous sensibilise, sans doute considérablement, de sorte que nous sommes rendus réceptifs aux influences supérieures et plus raffinées de la nature – ceci, si c’est vrai pour une personne, est vrai pour tous. Sentant et sachant cela, je ne déraisonne plus, maintenant, comme je le faisais avant, mais je suis «silencieuse», «je suis assise et je regarde toute la misère du monde» – «je regarde toute la petitesse et l’agonie sans fin.» Ce sourire doux, éternel, sur la face de la nature! Il n’est rien dans l’univers qui s’y compare – une telle tranquillité joyeuse, une insouciance si douce – qui nous dise, avec l’amour le plus tendre : Tout est bien, l’a toujours été et le sera toujours. La «lumière subjective» (me semble-t-il) est magnétique ou électrique – une certaine force est libérée dans le cerveau et le système nerveux – une explosion se produit – le feu qui brûlait dans la poitrine est maintenant une flamme montante. À plusieurs occasions, des semaines après l’illumination décrite, je ressentis distinctement des étincelles électriques jaillir de mes yeux. Dans mon expérience, la «lumière subjective» n’était pas quelque chose qu’on voyait, une sensation plutôt qu’une émotion – c’était l’émotion elle-même – l’extase. C’était l’allégresse et le ravissement de l’amour, si intensifiés que cela devint un océan de lumière vivante, palpitante, dont l’éclat dépassait celui du soleil. Son éclat, sa chaleur et sa tendresse remplissait l’univers. Cet océan infini était l’amour éternel, l’âme de la nature, et tout était unique et éternel sourire!
Ce qui me renversa au-delà de tout le reste, à mesure que les mois passèrent – à partir du mois de septembre – fut un sentiment toujours plus profond d’une Sainte Présence. Il y avait un silence sur tout, comme si la nature retenait son souffle en adoration. Il y eut des moments où le sentiment m’envahissait avec tant de force qu’il devenait oppressant, presque douloureux. Je n’aurais pas été étonnée si les rochers mêmes, et les collines, avaient entonné un grand hymne de louange. Par moments, je sentais qu’ils le devaient pour me soulager.
«Le voile déchiré», «le Saint des Saints», les tabernacles et les temples – je voyais qu’ils étaient des symboles – des tentatives de l’homme pour exprimer une expérience intérieure. La nature m’effleurait de trop près; je me sentais quelquefois opprimée par elle; une exaltation si extrême m’épuisait et j’étais heureuse lorsque je pouvais avoir une journée ordinaire. J’appréhendais quelque peu l’été et, lorsqu’il vint, la lumière et la profusion des couleurs, quoique délicieuses, dépassaient presque ce que je pouvais supporter. Nous pensons voir, mais nous sommes, en réalité, aveugles – si nous pouvions voir!
Un jour, pendant un instant, mes yeux furent ouverts. C’était le matin, au début de l’été 1894; je sortis, d’humeur joyeuse et calme, pour regarder les fleurs, me penchant vers les pois de senteur, jouissant de leur fragrance, observant combien leur forme et leur couleur étaient vives et distinctes. Le plaisir que je ressentais se transforma en ravissement; je frémissais littéralement et commençais seulement à m’en étonner lorsque, au tréfonds de moi-même, un voile ou un rideau s’ouvrit soudain et je pris conscience que les fleurs étaient vivantes et conscientes! Elles étaient toutes agitées! Et je savais qu’elles émettaient des étincelles électriques! Quelle révélation c’était! Le sentiment qui me vint avec la vision est indescriptible – je retournai dans la maison, remplie d’un ineffable sentiment de crainte respectueuse.
Il y avait et, quoiqu’elle soit moins remarquable qu’avant, il y a toujours une sensation très marquée et particulière au front, juste au-dessus des yeux, comme une tension disparue, une sensation qu’il y a plus de place. C’est la sensation physique. Mentalement, c’est une sensation de majesté, de sérénité, qui se remarque davantage lorsque je suis dehors. Un autre effet très marqué et particulier a suivi les phénomènes décrits plus haut – celui d’être centrée ou d’être un centre. C’était comme si les oreillers les plus doux, les plus duveteux, m’entouraient et me touchaient de près sur tous les côtés. En quelque direction que je me sois penchée, ils étaient là. Un ou des oreillers qui s’ajustaient à tous les endroits fatigués, de sorte que même si j’étais distinctement consciente de cet effleurement des plus légers, il n’y avait pas la moindre résistance ou obstruction au mouvement, mais le support était aussi permanent et solide que l’univers. C’étaient «les bras éternels». J’étais, enfin, ancrée. Mais à quoi? À quelque chose hors de moi-même?
La conscience de la plénitude et de la permanence en moi-même est une avec la conscience de la plénitude et de la permanence de la nature. Ce sentiment est très distinct d’aucun autre que j’aie eu avant l’illumination et en a jailli. J’y réfléchis souvent et me demande ce qui s’est passé – quel changement peut s’être produit en moi pour me donner cet équilibre et cette individualité. Je me sens comme si j’étais aussi distincte et, en même temps, indissolublement une avec toute la nature.
De cette expérience naquit une confiance indéfectible. Profondément enfoui dans l’âme, plus profondément que la douleur, plus profondément que toutes les distractions de la vie, est un silence, vaste et grandiose – un océan infini de calme, que rien ne peut perturber; la paix extrême de la Nature elle-même, qui «dépasse l’entendement».
Ce que nous cherchons dans un espoir si passionné, ici et là, vers le haut et vers l’extérieur, nous le trouvons finalement au-dedans de nous-mêmes. Le royaume intérieur! Le Dieu intérieur! sont des mots dont la signification sublime ne s’effacera jamais.
La note suivante fut envoyée par la jeune sœur de C.M.C. à la demande de l’éditeur qui désirait savoir si oui ou non un changement d’apparence avait été remarqué chez C.M.C. au moment de l’expérience mentionnées plus haut, ou par la suite. La note est datée du 2 février 1895 et se lit, mot pour mot, comme suit :
C’est en décembre, trois mois après, que je vis ma sœur pour la première fois après l’expérience qu’elle décrit, et le changement de son apparence m’impressionna tant que je ne l’oublierai jamais. Son aspect et ses manières, étaient si différents qu’elle semblait à peine être la même personne. Il y avait une lumière claire, brillante, paisible dans ses yeux, illuminant tout son visage, et elle était si heureuse et satisfaite – si satisfaite des choses telles qu’elles étaient. On aurait dit qu’un énorme poids avait été retiré et qu’elle était libre. Tandis qu’elle me parlait, je sentais qu’elle vivait dans un nouveau monde de pensée et de sentiments qui m’était inconnu. Sincèrement, P.M.
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