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21 février 2016

Les systèmes de «santé»

Ce que raconte Elisabeth Kübler-Ross (1) se passe entre 1995-1997, aux États-Unis. Plus récemment, tous les efforts d’Obama pour améliorer le système de santé ont invariablement été contrecarrés par les républicains.

Ici, nous jouissons (pour combien de temps encore?) d’un régime universel :
   Le système de santé et des services sociaux, tel que nous le connaissons, a été institué en 1971 à la suite de l'adoption de la première Loi sur les services de santé et les services sociaux par l'Assemblée nationale du Québec. Le système québécois est public, l'État agissant comme principal assureur et administrateur. 
   Deux régimes universels permettent à l'ensemble de la population d'obtenir des services hospitaliers et médicaux à la charge de l'État :
- le régime d'assurance hospitalisation, instauré en 1961;
- le régime d'assurance maladie, créé en 1970. 
   De plus, certains services sont offerts gratuitement à des groupes en particulier, selon des critères précis, tels que les services dentaires, les services optométriques et les appareils suppléant à une déficience physique.
   Par ailleurs, en 1997, le régime général d'assurance médicaments est venu compléter la couverture publique de la population québécoise dans le secteur de la santé. Il s'agit d'un régime mixte universel, fondé sur un partenariat entre l'État et les assureurs privés. Ajoutons que les régimes privés d’assurance collective couvrent, outre les médicaments, certains services non assurés par les régimes publics. (Site du ministère)

Or, notre gouvernement actuel semble nous acheminer subtilement vers la privatisation des services. Si cela se concrétise, il faudra conséquemment avoir recours à des compagnies d’assurances qui, selon les rumeurs, pourraient se donner le droit de déterminer qui mérite d’être assuré ou non, en fonction des habitudes de vie et du dossier médical du demandeur. Autrement dit, comme un dossier de bonne conduite en assurances automobiles. Hum... 



Mémoires de vie, mémoires d’éternité
Elisabeth Kübler-Ross
Pocket 1998
Titre de l’édition originale :
The Wheel of Life: A Memoir of Living and Dying; Scribner 1997 

[Extrait] 

... Je reconnais que je n’étais pas une malade idéale. J’ai subi des examens tomodensitométriques, puis une IRM et enfin un check-up complet, tout cela confirmant ce que je savais déjà : j’avais été victime d’une congestion cérébrale. 
   En ce qui me concerne, cette attaque n’était rien comparée à la souffrance que me causaient les méthodes de soins actuelles. J’ai d’abord dû supporter une infirmière hostile, puis l’incompétence stupéfiante du personnel soignant. Au cours de mon premier après-midi dans cet hôpital, une infirmière a essayé de redresser mon bras gauche, qui était bloqué dans une position recourbée et qui me faisait si mal que je ne pouvais même pas supporter l’effet d’un courant d’air. Lorsqu’elle s’est emparée de mon bras, je lui ai fait une prise de karaté avec mon bras valide. Elle a alors appelé deux autres infirmières pour me maîtriser. «Faites gaffe, c’est une bagarreuse», dit la première infirmière aux deux autres. [...] 
   L’aide médicale à domicile ne valait guère mieux. Pour la première fois de ma vie, je bénéficiais de l’assistance médicale pour les personnes âgées et les handicapés, et j’ai pu découvrir ainsi les graves insuffisances de ce système. [...] 
   L’univers des services de santé est kafkaïen. Deux mois après mon attaque, même si je continuais à souffrir d’une paralysie, ma physiothérapeute m’a annoncé que ma compagnie d’assurances avait décidé d’arrêter tout traitement. «Docteur Ross, je suis désolée, mais je ne pourrai plus venir, m’a-t-elle dit. Ils ne veulent plus rembourser les soins.» 
   Comment peut-on traiter un malade de cette manière? Ma sensibilité de médecin en fut terriblement offensée. Après tout, la médecine était ma vocation. Je m’étais sentie honorée de traiter des victimes de la guerre. Je m’étais occupée de malades considérés comme incurables. J’avais consacré toute ma carrière à enseigner aux médecins et aux infirmières à faire montre de plus de compassion. En trente-cinq années de pratique, je n’avais jamais fait payer un seul patient. 
   Et maintenant, voilà ce qu’on me disait : «Ils ne veulent plus rembourser les soins.» 
   C’était donc cela, la médecine moderne : une décision absurde prise par un fonctionnaire quelconque qui n’avait jamais vu le malade? La paperasserie avait-elle remplacé le souci du bien-être d’autrui? 
   Je trouve personnellement qu’aujourd’hui on ne respecte plus aucune valeur. 
   La médecine moderne est complexe et la recherche est coûteuse, mais les patrons des grandes compagnies d’assurances et des organismes privés de préservation de la santé ont des salaires annuels qui atteignent des milliards de dollars. [...] 
   Il fut un temps où la médecine ne s’intéressait qu’à la guérison, et non à la gestion. Il faut absolument qu’elle retrouve cette déontologie. [...] Il faut qu’ils (médecins, infirmières et chercheurs) placent leurs semblables – qu’ils soient riches ou pauvres, blancs ou noirs – au premier rang de leurs priorités. [...] 
   La mort en elle-même est une expérience merveilleuse et positive, mais le processus de la mort, lorsqu’il se prolonge comme le mien, est un véritable cauchemar. Il sape vos facultés, surtout la patience, l’endurance et la sérénité. Tout au long de l’année 1996, j’ai dû lutter contre une souffrance permanente et les limitations que m’imposait ma paralysie. On doit s’occuper de moi jour et nuit. Si on sonne à la porte, je ne peux pas aller ouvrir. Quant à l’intimité, elle appartient désormais au passé. Après quinze années de totale indépendance, c’est une dure leçon. Des gens entrent et sortent de chez moi. Parfois, ma maison ressemble à la gare de New York. Parfois, elle est trop calme. 
   Quel genre de vie est-ce là? Une vie misérable. 
   En janvier 1997, au moment où j’écris ces lignes, je dois dire honnêtement que j’ai hâte de «passer l’examen final». Je me sens très faible, j’ai mal en permanence et de suis totalement dépendante. [...]

Parmi les recommandations d’Elisabeth Kübler-Ross :

- Vous devriez vivre pleinement jusqu’à votre mort.
- Il est important de ne faire que ce que l’on aime faire. Peut-être êtes-vous pauvre, ou affamé, ou encore vivez-vous dans un endroit minable, mais vous devez vivre pleinement votre vie. Et, à la fin de vos jours, vous considérerez votre vie comme une bénédiction parce que vous aurez accompli ce pour quoi vous étiez venu sur terre.
- La plus difficile leçon est d’apprendre à aimer de manière inconditionnelle.
- Il n’y a rien à craindre de la mort. Elle peut être la plus merveilleuse expérience de votre vie. Tout dépend de la façon dont vous avez mené votre existence.
- La mort n’est qu’une simple transition conduisant à un plan d’existence où la souffrance et l’angoisse sont inconnues.
- L’amour permet de tout supporter.
- Mon voeu le plus cher est que vous essayiez de donner davantage d’amour au plus grand nombre possible de gens.
- La seule chose qui soit éternelle est l’amour.

«Nous devons enseigner aux enfants de la prochaine génération en très bas-âge qu’ils sont responsables de leur vie. Le don le plus merveilleux de l’humanité, et aussi le plus affreux, est d’avoir le libre-arbitre. Nous pouvons faire des choix motivés par l’amour ou par la peur.»

«L’ultime leçon est d’apprendre comment aimer et être aimé inconditionnellement.»
(The Wheel of Life, 1997)

«Nous courons après des valeurs qui, à la mort, tombent zéro. À la fin de votre vie, personne ne vous demande combien de diplômes que avez obtenus, combien de manoirs vous avez construits ni combien de Rolls Royce vous pouviez vous payer. Voilà ce que vous enseignent les mourants.» (On Life After Death)

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(1) Dr. Elisabeth Kubler-Ross (1926-2004) est une psychiatre et une psychologue helvético-américaine, pionnière de l'approche des «soins palliatifs» pour les personnes en fin de vie. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment : On Death and Dying. Un autre livre, On Life After Death, inclut des informations tirées de ses années de travail avec les mourants, des résultats de recherche approfondie sur la vie après la mort, et ses propres impressions et opinions sur ce sujet fascinant et controversé. Elle prend sa retraite en 1996 et, après plusieurs accidents vasculaires cérébraux qui vont la handicaper, elle meurt à 78 ans, à Scottsdale, en Arizona. http://www.ekrfoundation.org/

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Un à-côté particulièrement sombre 

Une des choses qui m’a sidérée dans ce récit autobiographique c’est l’incendie de sa maison, d’origine criminelle, et notamment le motif. Pourquoi ce geste? Ignorance et peur : pas de meilleur passeport pour la violence.



«Depuis le jour où j’ai annoncé mon projet de créer un centre de soins pour les bébés atteints du sida, les habitants du comté de Highland s’y sont farouchement opposés. Comme ils ne savaient pas grand-chose du sida, leurs peurs ont vite pris une ampleur considérable. Pendant mon absence, un ouvrier du bâtiment que j’avais licencié s’est mis à raconter des mensonges un peu partout sur le sida et à demander aux gens de signer une pétition contre moi. ‘Signez si vous ne voulez pas que cette femme introduise le sida dans notre comté’, disait-il aux gens. 
   Il a fait du bon travail. [...] Il était près de minuit lorsque la réunion [d’information] s’est achevée. Ces gens-là me haïssaient. ... Mes assistants, les intervenants invités et moi-même avons été escortés jusqu’à la sortie de l’église par plusieurs policiers qui nous ont ensuite suivis jusqu’à ma ferme. J’ai alors dit à mon ami que je ne savais pas pourquoi la police se montrait si amicale. ‘Idiote, ils ne sont pas amicaux, m’a-t-il répondu en secouant la tête en signe d’incrédulité. Ils ne font que s’assurer que personne ne sera lynché ce soir.’ 
   Après cet épisode j’étais devenue une cible facile. Quand je faisais mes courses en ville, on m’appelait ‘l’amie des nègres’. J’ai reçu quotidiennement des menaces de mort par téléphone. ‘Tu vas crever comme tes petits chéris de bébés sidaïques.’ Le Ku Klux Klan fit brûler des croix sur ma pelouse. D’autres ont tiré sur mes fenêtres. Le plus ennuyeux dans tout cela, c’était que chaque fois que je voulais sortir de chez moi, j’étais victime d’une crevaison. Étant donné que je vivais dans un bled perdu, c’était un grave problème. Il était évident que quelqu’un sabotait mon camion. 
   Finalement, je me suis cachée un soir pour surveiller la grille d’entrée de ma ferme, l’endroit où se produisaient régulièrement ces crevaisons. Vers deux heures du matin, j’ai vu six camionnettes découvertes qui passaient lentement devant la grille d’entrée. Les conducteurs se sont alors mis à jeter des bouts de verre et des clous. J’ai compris que je devais me montrer plus malin qu’eux. Le lendemain, j’ai creusé un trou au bout de mon allée de garage et j’ai installé dessus une barrière canadienne – une grille en métal qui laisserait passer les clous et les bouts de verre. Je n’ai plus eu de pneus crevés, mais j’étais toujours aussi impopulaire à Healing Waters. 
   Un jour, alors que j’étais sortie travailler, un camion a ralenti et le conducteur a hurlé quelque chose d’horrible à mon intention. Puis il est parti sur les chapeaux de roue, mais j’ai eu le temps de remarquer l’autocollant fixé sur le pare-choc et sur lequel était écrit ‘Jésus est le chemin’. Il n’est certainement pas ce chemin-là et, devant cette nouvelle déconvenue, je n’ai pu m’empêcher de crier : ‘Qui sont les vrais chrétiens dans ce coin?’ 
   Cette époque était marquée par la violence et la haine, le sida était perçu comme l’une des grandes malédictions de notre temps.»



«... Le 6 octobre 1994, ma maison fut incendiée. Elle a brûlé complètement, et j’ai tout perdu. Tous mes documents furent détruits. Tout ce que je possédais avait été réduit en cendres. [...] Il était près de minuit. À quelques kilomètres de la maison, j'ai aperçu les premiers signes de l'incendie : des colonnes de fumées et de flammes se détachaient sur un ciel parfaitement noir. J'ai tout de suite compris qu'il s'agissait d'un terrible sinistre. De près, la maison, ou ce qu'il en restait, était à peine visible derrière le rideau de flammes. J'ai eu l'impression de me trouver au milieu de l'enfer. Les pompiers me dirent qu'ils n'avaient jamais rien vu de pareil. [...]
   J’étais effondrée : cette catastrophe était incompréhensible. Parmi tout ce que j’avais perdu, il y avait les journaux intimes où mon père relatait mon enfance, mes papiers et journaux personnels, quelque vingt mille observations se rapportant à ma recherche sur la vie après la mort, des centaines de milliers de pages de documentation, de notes et de textes scientifiques, ma collection d’objets d’art, de photos et de vêtements indiens... tout, j’avais tout perdu. [...] Étant donné qu’il ne servait à rien de nier la perte que je venais de subir, je l’ai acceptée. Que pouvais-je faire d’autre? Après tout, il ne s’agissait que d’un ensemble d’objets et, quelle qu’ait été leur importance sentimentale ou matérielle, ils n’étaient rien en comparaison de la valeur de la vie. J’étais indemne. Mes deux enfants, Kenneth et Barbara, étaient sains et saufs. Quelques pauvres types avaient bien réussi à réduire en cendres ma maison et tout ce qu’elle contenait, mais moi, ils n’avaient pas pu me détruire.»

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«Je n'admire pas Jésus sans réserve. Au milieu des admirables élans de mansuétude que nous transmet l'Évangile, il se rencontre des préceptes impitoyables. C'est ce qui explique comment Jésus peut être à la fois le Dieu des coeurs tendres et des fanatiques.» ~ Louise Ackermann (Pensées d'une solitaire)